Il faut considérer que le rapport des Français à la nourriture est souvent ritualiste et que les supérettes, supermarchés et hypermarchés bouleversent radicalement la tradition française de l'approvisionnement alimentaire. Il a donc fallu un temps pour admettre ce mode de vie "à l'américaine" comme le soulignaient plusieurs consommateurs français de l'époque. L'idée de pousser un chariot à travers des rayonnages de produits que l'on sélectionne soi-même rebute bon nombre de traditionalistes. Mais en insistant sur la rapidité de l'approvisionnement et sur la variété des produits nécessaires pour la famille, les instigateurs des supermarchés touchent la véritable cible : la ménagère.
Les premières grandes surfaces ouvrent ainsi leurs portes dans des banlieues voisines de villes importantes et présentent la caractéristique du vaste parking. Un atout considérable pour ceux et celles qui sont responsables des courses. Le procédé permet de rapporter un volume plus important de produits en une seule visite, de quoi alimenter la famille pour plusieurs jours. Les familles françaises et européennes se mettent au diapason américain, comprenant les avantages d'une telle pratique. Désormais elles ont plus de temps pour les activités para familiales et pour les loisirs. Avec l'émancipation des femmes sur le marché du travail, les supermarchés se glissent pile poil dans une dynamique de "prêt à emporter" qui allège les tâches féminines.
Aujourd'hui, on ne parle plus seulement de supérettes et de supermarchés, il est désormais question d'hypermarchés, des monstres gigantesques, occupant des surfaces de 2500 m² et plus (10 000 m² pour le Cora de Haguenau), offrant à leur clientèle aliments et produits divers, dans tous les domaines de la vie domestique. Ainsi, on trouve aux rayons de l'hypermarché de la nourriture, certes, mais aussi des vêtements, de la literie, des ustensiles de cuisine, des produits pharmaceutiques, des meubles, de la quincaillerie, de la décoration, des livres, de la musique, des appareils électroniques, des électroménagers, etc. Bref, on centralise toujours davantage, on facilite la vie des consommateurs et, avouons-le, cette abondance mercantile incite bien souvent à des achats qui ne correspondent pas à de réels besoins.
Cette industrialisation de la consommation, outre l'avantage de permettre un gain de temps et d'argent, exaspère cependant de nombreux "citoyens verts" qui prônent un retour vers une consommation raisonnable, au plus grand bonheur des petits commerçants et des producteurs concernés par l'environnement. En France métropolitaine, il existe à l'heure actuelle plus de 1 375 hypermarchés. Les enseignes Auchan, Carrefour, Casino, Continent, Cora, Escale, Euromarché, Géant, Mammouth, Match, Rallye, Record sont parmi les plus connues. Sous le signe de l'autonomie absolue, de plus en plus de ces grandes surfaces offrent des services automatisés, ce qui laisse le client seul face au scanneur de code barre, et seul pour l'emballage de ses paquets. Le contact social est ici réduit à zéro.
Or c'est peut-être cette lacune dans le rapport humain qui pousse doucement les gens à retourner chez les petits épiciers de quartier, chez les producteurs agricoles, chez les boutiquiers spécialisés, histoire de faire un brin de causette et de prendre les conseils de ceux et celles qui croient en leurs produits. Loin d'une politique de surproduction, on assiste à la naissance d'une nouvelle idéologie de la consommation, celle de la simplicité volontaire. Les néo-consommateurs, désireux de respecter l'environnement, et la vie en général, acceptent de payer un peu plus cher pour des services un peu plus humains et des produits vraiment nécessaires à leur quotidien. Reste à voir si les grandes surfaces pourront prendre ce nouveau virage, si la chaleur humaine l'emportera sur la frénésie de la surconsommation…