Sa liaison passionnée et orageuse avec le grand Rodin aura discrédité son génie et fait d'elle une sorte d'hystérique incontrôlable. Quoiqu'elle ait continué à créer des œuvres magnifiques comme La Valse (1893), un plâtre extraordinaire de mouvement et d'érotisme ou encore Clotho (1893), on ne verra en elle que la maîtresse de Rodin ou la sœur de Paul, son jeune frère, devenu écrivain et diplomate reconnu.
Le plus grand malheur de Camille Claudel aura été de naître et d'essayer de s'affirmer à l'époque post Charcot, époque où toute femme exprimant sa colère ou ses états d'âme était étiquetée d'emblée, d'individu aliéné, prêt pour l'internat. Camille, que l'on imagine facilement emportée, n'échappe pas à la volonté de son entourage de la cacher, de l'enfermer.
Elle passera les trente dernières années de sa vie dans un asile alors qu'elle n'est pas folle. Une femme avec ses ambitions, animée de ce genre de passion, ne peut qu'être nuisible à la réputation de son entourage.
Paul Claudel, alors en pleine ascension, n'approuvera jamais le concubinage libertin de sa sœur avec un homme marié et père de famille. Il ne tentera rien pour la faire sortir de sa prison.
Parce que Rodin l'a abandonné, parce que l'on n'a jamais reconnu son travail, parce que l'on a pensé qu'elle n'était qu'une élève aux mœurs légères, l'étroitesse d'esprit des critiques du dix-neuvième siècle sont responsables de l'ellipse d'une des plus grandes artistes de tous les temps, autant par la force de ses évocations sculpturales que par son imagination avant-gardiste ou son talent si exceptionnel dans l'exécution.
Aujourd'hui enfin, les critiques d'art s'entendent pour valider le fait que Rodin se soit largement inspiré des idées de Camille, alors que son propre imaginaire allait déclinant…
Il aura quand même fallu l'admirable film de Bruno Nuytten, Camille Claudel, en 1988, magistralement interprété par Isabelle Adjani, touchante de passion et d'abandon, pour nous faire découvrir la force extraordinaire, le génie incomparable de l'œuvre de cette artiste inestimable, dédaignée trop injustement...